🥽 Vision Pro n'est pas un échec
Avi Bar-Zeev a contribué à l’invention du Microsoft HoloLens, défini les Echo Frames d’Amazon, et dirigé l’équipe de prototypage de l’expérience utilisateur pour l’Apple Vision Pro de 2016 à 2019.

Interview d’Avi Bar-Zeev
Tu as travaillé plusieurs années chez Apple sur le Vision Pro. Quel est ton ressenti par rapport au produit final et aux réactions du public ?
Avi Bar-Zeev : Je suis un peu frustré par certains articles à son sujet. Des gens ont pris des rumeurs de rumeurs et en ont conclu que c’était un échec, ce que je ne pense pas du tout. Il y a des choses que je changerais, bien sûr, mais dans l’ensemble, le Vision Pro a atteint les objectifs qu’il devait atteindre. Il offre la meilleure expérience immersive de cinéma en 3D que j’ai jamais vue, c’est un excellent moniteur virtuel, et la co-présence est quelque chose que les gens apprendront à apprécier avec le temps. Si on avait eu ça avant le COVID, cela aurait changé la manière dont on a vécu la pandémie.
Quelles sont les plus grosses erreurs que font les géants de la tech en essayant de prédire l’adoption utilisateur ?
Avi Bar-Zeev : La plus grande erreur, c’est de croire qu’on est plus proche du but qu’on ne l’est réellement. Tous les produits sur lesquels j’ai travaillé étaient censés sortir plus rapidement et pour moins cher que ce qui s’est passé. On peut fabriquer un casque bon marché, mais peut-on en faire un qui soit léger, ne provoque pas de nausée, offre une résolution suffisante pour lire du texte, et soit agréable à porter toute la journée ? C’est extrêmement difficile. Les grandes entreprises font des démos de fonctionnalités isolées, mais c’est lorsqu’il faut tout rassembler dans un produit cohérent que ça se complique. Et ça prend toujours plus de temps que ce que l’on veut bien admettre.
Comment les entreprises devraient-elles impliquer les utilisateurs dans le processus de développement ?
Avi Bar-Zeev : Les utilisateurs dans des focus groups ne donnent pas toujours les meilleurs retours parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils ignorent. Ce qui compte le plus, c’est la diversité – et je parle d’une véritable diversité d’expériences. Si une équipe est composée uniquement de personnes qui ne souffrent jamais du mal des transports, elles vont penser que leur produit est parfait, alors que 75 % de leurs utilisateurs réels auront la nausée. Si on ne prend pas en compte les formes de tête, les types de cheveux, ou les besoins en accessibilité, on exclut une grande partie du marché sans même s’en rendre compte. Une équipe diverse permet de repérer ces angles morts avant le lancement.
Le Quest 3 est le casque de qualité le plus abordable jamais lancé. Sommes-nous enfin arrivés à maturité ?
Avi Bar-Zeev : C’est un appareil impressionnant, mais j’ai des réserves sur le plan philosophique. Meta peut se permettre de le vendre à bas prix parce qu’il est subventionné par les revenus publicitaires. Même s’ils ne diffusent pas encore de pubs sur le casque, l’argent qui finance cette division vient de la pub. Je ne pense pas qu’il fallait se précipiter pour créer le casque le moins cher possible. Le marché n’est pas prêt. C’est pour ça que la vision de Zuckerberg pour le métavers n’a pas pris : les gens ne perçoivent pas encore la XR comme un moyen de créer du lien social. Cela viendra plus tard, mais on n’y est pas encore.
Tout le monde parle de la “killer app” pour la XR. Quel est ton avis ?
Avi Bar-Zeev : On n’a pas besoin d’une seule “killer app”. Pour les smartphones, ce n’était pas une application en particulier qui a tout changé, c’était l’App Store. Le fait d’avoir des millions d’apps répondant à des besoins variés, c’est ça qui a fait décoller le smartphone. La XR a besoin de la même chose. Mais pour en arriver là , il faut des millions d’appareils dans les mains des utilisateurs. Aucun développeur ne veut créer pour une plateforme qui n’a que 100 000 utilisateurs. C’est le dilemme de la poule et de l’œuf : on a besoin de super contenus, mais les développeurs n’en créeront que si le marché est assez grand.
Tu parles souvent de co-présence. Pourquoi est-ce si important ?
Avi Bar-Zeev : Les appels vidéo ne donnent pas vraiment l’impression d’être avec quelqu’un. Quand tu parles au téléphone, la voix est “dans ta tête” – il n’y a pas de séparation spatiale. Ton cerveau n’assigne pas d’emplacement réel à la personne, donc elle ne te semble pas présente. La co-présence règle ça. Avec l’audio spatial et des expressions faciales réalistes, on a vraiment l’impression d’être ensemble. Ce n’est pas regarder un PowerPoint en VR – c’est recréer la sensation d’être avec quelqu’un.
Charlie Fink a récemment dit que l’IA pourrait complètement remplacer les lunettes AR. Qu’en penses-tu ?
Avi Bar-Zeev : Les interfaces audio pilotées par l’IA vont être énormes, mais elles ne remplaceront pas tout. L’IA peut te donner une information par la voix au lieu de l’afficher, mais parfois, on a besoin de visuels. Et en plus, l’audio spatial n’est pas encore assez bon. Si l’audio IA est le futur, il faut d’abord que cette expérience soit vraiment au point avant de pouvoir remplacer les écrans.
Tu as dit que les modèles économiques basés sur la pub sont voués à disparaître. Pourquoi ?
Avi Bar-Zeev : La publicité est inefficace. Même les annonceurs admettent qu’ils ne savent pas vraiment si leurs pubs fonctionnent. Les gens détestent la pub, et l’IA va finir par l’éliminer complètement. À l’avenir, quand tu demanderas à ton IA « Quels sont les meilleurs casques audio ? », elle te répondra directement. Plus besoin de pub. La vraie question, c’est : qui contrôle cette IA ? Si elle travaille pour toi, c’est parfait. Mais si elle te recommande secrètement des produits parce qu’elle est pilotée par une entreprise publicitaire ? Là , on a un vrai problème.
Que peut-on apprendre des erreurs passées dans la tech ?
Avi Bar-Zeev : Internet a été construit sur l’ouverture, mais on n’a pas pensé à la vie privée ni à l’exploitation des données. Aujourd’hui, des entreprises récupèrent les contenus des gens pour entraîner leurs IA sans les rémunérer. C’est un échec éthique majeur. Plutôt que de reproduire les mêmes erreurs, on devrait construire un système qui rémunère équitablement les créateurs. L’IA ne doit pas forcément être exploitante — ce sont les modèles économiques autour qui le sont.
Qu’est-ce qui t’enthousiasme le plus pour les années à venir ?
Avi Bar-Zeev : L’IA change complètement la manière dont on conçoit des produits. Avant, pour tester un produit, il fallait le construire, le lancer, et espérer que 100 000 utilisateurs le valident. Aujourd’hui, grâce à l’IA, je peux simuler cette base d’utilisateurs avant même de construire quoi que ce soit. On peut tester des idées plus vite, corriger les problèmes avant le lancement, et éviter des années d’itérations lentes. C’est une vraie révolution pour l’innovation.
Un mot de fin ?
Avi Bar-Zeev : Beaucoup de gens pensent qu’il faut courir après chaque nouvelle techno – mais ce n’est pas le cas. C’est très bien de prendre son temps, d’observer ce qui fonctionne, et d’utiliser la technologie de façon intentionnelle. Tout ne doit pas forcément être à la pointe. Les vrais gagnants dans la tech ne sont pas ceux qui suivent toutes les tendances, mais ceux qui se concentrent sur ce qui améliore vraiment la vie des gens.
Merci à Gabriele pour cette interview, n'hésitez pas à vous abonner à sa newsletter pour le soutenir !